La Charente 04 septembre 1924 |
OPINIONS Une armée précieuse pour lutter contre la vie chère Quatre cent mille marchands forains Le nouveau ministre a promis de lutter énergiquement contre la vie chère, en particulier au point de vue de l'augmentation. Acceptons-en l'augure. Un de ses moyens d'action les plus efficaces semble devoir être de protéger et de développer, en lui donnant toutes les facilités désirables, le commerce forain devenu, depuis quelque temps, si intense, cela par ses propres moyens, Une sorte, ne disons pas de défaveur, et encore moins de méfiance mais de « réserve se manifeste encore chez pas mal de gens à l'égard de ces commerçants en plein vent, qui s'installent sur les marchés à des dates fixes, pour y vendre des objets de première nécessité, surtout de nécessité alimentaire. La capitale a vu, notamment se développer, de façon sensible, ces longues suites de petits éventaires où s'étagent en bon ordre et dans un état de propreté généralement méticuleux, les nombreuses denrées indispensables à la vie courante. Les commerçants sédentaires du quartier en ont quelque amertume, les ménagères les délaissant aux jours de marché. Ils ne peuvent essayer de les retenir qu'en mettant leurs prix au même niveau. Les marchandises, continuellement renouvelées, au grand air, sont d'un aspect plus engageant et d'une qualité tout aussi bonne. Ces forains, qui furent longtemps des exceptions, des isolés, des bohêmes, s'approvisionnant avec peine et « bonimentant » pour faire passer ce qu'ils vendaient, sont aujourd'hui des commerçants parfaitement organisés, installés, contrôlés, payant de respectables patentes et s'approvisionnant par les moyens les plus rapides chez les marchands de gros les mieux achalandés, mais en conservant, pour la plupart, l'habitude de se passer d'intermédiaires, d'aller chercher la marchandise directement, en payant de leur personne davantage, en ne craignant pas leur peine. Ainsi seulement, ils peuvent baisser leurs prix raisonnablement et y trouver tout de même un honnête bénéfice, sans excès. Généralement, ces braves gens travaillent. en famille et cette continuelle existence grand air, si pénible aux mois d'hiver, leur permet de tenir, avec une propreté méticuleuse, un étalage très simplifié. La coquetterie, naturelle maintenant, qui a remplacé le laissé-aller d'autrefois, dans les classes laborieuses - même celles où le travail est salissant- existe sur les marchés autant que dans les boutiques, davantage même. Les jeunes femmes qui servent sont, pour la plupart, accortes, avenantes, les mains soignées les linges de travail bien propres. Pourquoi pas ? En contact plus direct avec les producteurs, ces marchands forains n'hésitent pas à baisser les prix immédiatement, si la baisse se fait sentir, au lieu d'attendre le contre-coup des prix des Halles et les « combinaisons » qui, trop souvent, étouffent cette baisse, Il y a donc là, pour lutter contre la vie chère, un élément extrêmement important. Ces marchands en plein vent, comme les forains proprement dits qui se répandent dans les villes en des occasions régulières, sont officiellement quatre cent mille. Une solidarité traditionnelle parmi eux les met toujours d'accord sur les marchés et sur les foires, pour éviter des hausses injustifiées et aussi pour résister aux prix trop élevés que les grossistes » voudraient peut-être leur imposer. Dans le domaine de la mercerie, de la confection populaire et de la quincaillerie ménagère, ils sont, on peut dire, les maître du commerce et ils ont la loyauté de tenir des prix d'avant-guerre au lieu du coefficient 4, 5 ou plus, qui est à la base de tant de majorations. On trouve chez ces marchands en plein vent des montres à 15 francs que le producteur leur à vendues 12 ou 13, des casquettes de drap à 4 francs qu'ils ont payées 3, de même qu'à la saison des cerises ou de la reine claude, ces fruits délectables, devant la belle récolte, se sont vendus chez eux vraiment à bon compte, quelques sous à peine, au lieu de prix sextuplés ou décuplés dont on les a payés chez tant de commerçants en boutique, Ces braves gens, toutefois, ne sont pas contents. Ils se plaignent souvent d'être un peu pressurés par des municipalités, mal satisfaites de leur arrivée à certaines dates, ou cherchant à imposer exagérément le droit d'installation, Ils se plaignent surtout d'être considérés, par les pouvoirs publics, comme une quantité négligeable. Lorsqu'on a officiellement désigné les 42 membres composant le Conseil supérieur du Commerce, on a totalement oublié d'y appeler un de leurs représentants, quel qu'il soit, malgré leur chiffre imposant de 400.000. Par contre, on y a installé M. Citroën, M. Loucheur, M. Schneider, directeur du Creusot, hauts personnages évidemment respectables, mais dédaigneux certainement des intérêts modestes des marchands forains. Les commerçants détaillants de France, innombrables, n'ont, il est vrai, dans cette Cour suprême du Commerce de la Nation, qu'un seul représentant. Les forains n'en ont pas un seul. Et cette double négligence est regrettable. Ce qui est à souhaiter, c'est que, sans nuire d'aucune façon aux légitimes intérêts des petits boutiquiers sédentaires, le gouvernement comprenne, dans ses louables intentions de lutte contre la vie chère, la force immense qu'il y a dans cette armée active et circulante de 400 000 commerçants et commerçantes, d'expérience et de bonne volonté. Ils ne sont à peu près aidés en rien, ils ne voient faciliter leur tâche que par leurs propres moyens et les autorisations qu'on leur donne ont toujours l'air de tolérances, |
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