La Presse 04 septembre 1924


Un ministère qui tombe

Si vous passez rue de Grenelle, entrez au ministère de l'Instruction publique, et montez au cabinet du ministre. Arrivé dans l'antichambre, au milieu d'un épais nuage de poussière, de plâtras, de gravats, où suffoque un malheureux huissier, vous verrez les lames du plancher pourries ou déjà manquantes, les murs à nu, noirs, croulants, rayés d'immenses lézardes.

Mon Dieu, que se passe-t-il, vous écrierez-vous.
Le ministère de l'Instruction publique s'effondre, vous répondra-t-on.

En effet, tout le personnel de ce pauvre ministère vit depuis quelque temps dans une terreur quotidienne. Il se trouve devant la perspective soit de tomber au rez-de-chaussée avec le plancher, soit de voir le plafond s'écrouler sur ses épaules.

Tout est pourri

Le bâtiment, qui est l'actuel ministère, fut d'abord l'hôtel de Courteilles, construit en 1778 par Cherpitel. Il devint en 1787 l'hôtel de Rochechouart. En 1804 le maréchal Augereau en prit possession et sa veuve remariée lui donna en 1807 le nom de son mari le comte de Sainte-Aldegonde. Depuis 1829, cet hôtel est le ministère de I'Instruction publique.

Or, depuis pas loin d'un siècle et demi qu'il loge des maréchaux et des ministres, la charpente se fatigue et les murs légers se lézardent. On faisait bien, par-ci par-là de petites réparations, mais absolument nécessaires.
Depuis trente-deux ans que je suis ici, nous dit un garçon de bureau, j'ai toujours vu des travaux. Mais on était loin de prévoir le cataclysme qui se préparait.

Un beau matin, en arrivant à leurs bureaux, les fonctionnaires qui occupaient l'aile gauche du bâtiment, virent avec terreur le plafond se courber gracieusement au-dessus de leur tête. Ce fut un sauve-qui-peut général. On évacua les pièces et l'on commença les travaux qui furent longs et pénibles. Il fallut, en effet, changer toute la charpente; remplacer les poutres de bois par des poutres de fer; reconstruire complètement en quelque sorte les pièces qui s'écroulaient.

Le fléchissement gagne

Quand tout fut terminé, on s'aperçut que le plancher des chambres voisines pliait doucement à son tour et l'on dut constater que le fléchissement gagnait implacablement.

Commencé à l'aile gauche, il gagne maintenant le centre du bâtiment et voici que le bureau du ministre lui-même est menacé. Les travaux de réparations de son anti-chambre sont commencés. Mais comment le ministre pourra-t-il passer dans son bureau? Faudra-t-il jeter un pont volant sur le gouffre noir qui se prépare ? La grande salle à manger qui se trouve dessous est déjà à l'état de chantier, et au milieu des poutres, des lames de parquet, entre les échafaudages qui soutiennent son plafond, couverte de poussière et de plâtre, la table à rallonges, triste et solitaire, est le seul témoin de ce spectacle de désolation.

La difficulté des réparations

Or les travaux sont très difficiles à conduire, car c'est bien plus une reconstruction qu'il faut faire que des réparations. Des poutres centenaires soutiennent des lustres de 600 kilogrammes. Un choc un peu violent suffirait à faire tomber ces charpentes en poussière et à précipiter ces lustres sur la tête des visiteurs imprudents.

Il semble bien, d'ailleurs, que la construction primitive ne fut jamais très solide. A voir les murs de l'antichambre du ministre, faits d'un torchis noirâtre, on pense plutôt à la hutte d'un Zoulou, dans le fin fond de l'Afrique, qu'au magnifique palais du grand maître de l'Université et du surintendant de ces beaux-arts dont l'architecture n'est pas le moins digne d'estime. Les lézardes qui zèbrent les cloisons vous donnent une impression que d'un coup de poing bien appliqué vous pourriez faire aisément un trou où passerait le bras.

Y a-t-il des Remèdes ?

L'ancien hôtel de Courteilles se meurt. Il faut le remplacer. On s'en occupe, mais la tâche est difficile, faute d'argent, car il n'y a pas de crédit suffisant...
Et, philosophe, M. François Albert poursuit sa besogne dans son bureau à l'équilibre instable. Souhaitons qu'il n'aille pas, un beau jour, finir au rez-de-chaussée la promotion de palmes académiques qu'il aura commencée au premier étage.

J. H


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