Journal des débats 04 septembre 1924


Une organisation irrationnelle

Le Journal officiel du 31 août a publié un décret qui fixe les conditions d'exploitation des mines de potasse d'Alsace acquises par l'Etat français. Ces conditions méritent d'être examinées, car elles reflètent une mentalité qui est fort répandue dans les sphères gouvernementales actuelles, mais qui n'en est pas meilleure pour cela.

Ces mines auront à leur tête un directeur nommé par le ministre des travaux publics et agissant sous son autorité. De plus, pour la gestion de ces mines, le ministre prendra avis d'un conseil composé comme suit : 3 membres représentant l'administration des travaux publics, 2 membres désignés sur la proposition du ministre des finances, 2 membres désignés sur la proposition du ministre de l'agriculture, I membre désigné sur la proposition du ministre du travail, 2 représentants des associations agricoles, I représentant des Chambres de commerce, I technicien de l'industrie minière. Il s'en est fallu de peu que ce malheureux technicien ne fût oublié; on a pensé au dernier moment à l'ajouter à la liste et, vraiment, on se demande ce qu'il pourra faire dans un milieu d'intérêts si divers et si contradictoires.

Il est de toute évidence que les représentants du ministère de l'agriculture, des associations agricoles, des Chambres de commerce défendront les intérêts des consommateurs de potasse qui désirent avoir le produit au meilleur marché possible. Le représentant du ministre du travail fera que des propositions onéreuses, ne s'inspirant aucunement des conditions de la concurrence. Les représentants du ministre de des finances n'envisageront, croyons-nous, que le rendement le plus large possible au point de vue fiscal.

Dans ce conseil, les uns tireront à hue, tandis que les autres tireront à dia et, brochant sur le tout, pour départager ces avocats d'intérêts si opposés, que trouve-t-on? Le ministre des travaux publics! On a eu un exemple, ces jours derniers, par ce qui s'est passé aux chemins de fer de l'Etat, de sa façon de servir l'intérêt général. La solution qui triomphera sera celle qui sera soutenue par le groupe le plus influent électoralement.

L'organisation que nous venons de décrire ne doit durer que jusqu'à la promulgation de la loi qui fixera les conditions d'exploitation des mines de potasse; mais, quoique provisoire, elle n'en est pas moins dangereuse, car c'est une formule qui est à la mode et dont on multiplie les applications. Cette formule revient, en définitive, à ceci :

faire gérer des affaires dont l'Etat assume tous les risques par des gens qui ont intérêt à ce qu'elles soient en déficit.

La solution vraiment économique est la gestion de services productifs par des sociétés financières intéressées à en développer le revenu et non par des groupements qui sont intéressés à réduire la recette et à grossir la dépense; cette dernière solution est irrationnelle; c'est celle qui a toutes les faveurs de nos gouvernants, mais les finances publiques en seront la victime.


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