Le plus grand artiste japonais:
HOKOUSAÏ
Le peintre Claude Monet, au cours d'un séjour en Hollande, remarqua chez un épicier un lot d'estampes japonaises dont le commerçant se servait pour envelopper ses denrées, tout en se plaignant du peu de solidité de ces papiers... Le paysagiste acheta les estampes, et c'est ainsi que lui fut révélé l'art d'Hokousal.
En effet, ce fut à la fin du XIXe siècle seulement que l'Europe connut les productions des maîtres japonais, dispersées hors de l'Empire par le fait de la révolution de 1868 qui le bouleversa. Le monde occidental demeura béant de surprise. devant la manière de dessiner et de peindre des artistes nippons, manière si différente des artistes européens ! mais, bientôt charmé, conquis, il aima ces poétiques images dont il apprit à apprécier la beauté.
On connut le nom des peintres de génie qui signèrent de délicates merveilles: Horunobou, Kiyonaga, Outamaro, etc.. Mais un nom ne tarda pas à dominer tous les autres et à résumer, à lui seul, l'art japonais aux yeux des Européens: Hokousaï. Et vraiment ce maître mérite d'être célèbre, car, si son œuvre innombrable est réellement belle, son histoire ne l'est pas moins. Hokousal fut un exemple vivant de courageuse persévérance.
Aux environs de Tokio, en 1760, naquit Tokitaro Hokousaï, dans un modeste intérieur d'artisans. Sa mère, cependant, était de noble origine et racontait fièrement comment son père mourut pour défendre son seigneur; c'est d'elle, sans doute, que l'artiste tenait son goût raffiné et la grande dignité de son existence.
Nakajima Icé, le père, ou le père adoptif de l'enfant, ciselait des miroirs étranges et réputés, sur lesquels se posèrent les premiers regards du petit garçon, qui sentit naître sa vocation de dessinateur en feuilletant des images; et l'on s'imagine cet enfant japonais, pareil à une poupée aux yeux bridés, promenant sa rêverie sous les cerisiers, au bord du Soumida-Gava, formant des projets d'avenir et observant toutes choses autour de lui, d'un œil déjà singulièrement observateur.
Vers l'âge de quatorze ans, Hokousaï devint apprenti graveur; il quitta la maison paternelle, et sa vie errante de gueux génial commença. A dix-huit ans, il se fit peintre. D'abord élève de Shunsho, il illustre des contes dont souvent il est l'auteur, et qui s'intitulent: La Petite Violette de Yeddo, L'Esprit ouvert est très précieux, Les Courriers de Kamakoura, Les Quatre Rois célestes des points cardinaux habillés à la dernière mode... Tout cela signé de noms divers qui déguisent sa personnalité.
Hokousaï travailla chez plusieurs maîtres, cherchant sa voie. Il produisait énormément, mais ne gagnait pas de quoi vivre... Il passa sa jeunesse dans la misère et parfois fut même obligé de vendre des agendas dans les rues. Au plus fort de sa détresse, il reçut la commande d'un oriflamme peint, à l'occasion d'une fête, et, à partir de ce moment, le pauvre artiste reprit ses pinceaux et, à quelque temps de là, il signa « Hokousai-Shinsei », ce qui signifie: « le génie de la constellation du nord. » Au jour de l'an 1799, le peintre annonça officiellement son changement de nom.
Avec sa verve endiablée, Hokousaï peint tout ce qu'il voit: femmes, enfants, gens du peuple, paysages, animaux, fleurs et il exécute des acrobaties artistiques:
un jour, au moyen d'un balai, il représente, à l'encre de Chine, le buste d'un dieu, sur une feuille de deux cents mètres carrés; une autre fois, sur un grain de blé, il dessine deux moineaux. En 1806, on raconte que, sur un panneau de papier, l'humoriste figura la moire bleue des eaux et sur cette peinture il posa un coq dont il avait plongé les pattes dans la couleur rouge: le volatile marcha en tous sens, et les assistants crurent voir, en cette œuvre singulière, les flots de la rivière Tutsoura charriant des feuilles d'érable pourpré. Et cela valut à Hokousal d'être distingué par le Shogoun.
Cependant, malgré cet honneur suprême, malgré son labeur acharné, malgré sa notoriété, le peintre demeura extrêmement pauvre. Nomade, il changea quatre-vingt-treize fois de logement en son existence. En sa vieillesse, il se déplaçait pour fuir les créanciers de son petit-fils qui le harcelaient. Sa frêle demeure de bois brûla en 1839, et l'artiste perdit de la sorte une importante collection de ses dessins les plus chers.
Au milieu de tant d'épines, une rose: Hokousaï eut près de lui sa fille Oyéi, artiste elle-même, qui soigna le vieillard avec le plus tendre dévouement. Elle s'efforçait de gagner quelque argent grâce à ses pinceaux, ou bien en créant une eau de jouvence et en disant la bonne aventure... Lutte angoissante de deux artistes contre la misère inexorable.
Fier, pur, digne, sous ses haillons, le maître travailla jusqu'à ses derniers jours avec une sorte de frénésie. En 1834, en présentant: Les Cent Tues de Fouzi-Yama, Hokousai écrivit dans la préface cette admirable profession de foi:
« Depuis l'âge de six ans, j'avais la manie de dessiner la forme des objets. Vers l'âge de cinquante ans, j'avais publié une infinité de dessins, mais tout ce que j'ai produit avant l'âge de soixante-dix ans ne vaut pas la peine d'être compté. C'est à l'âge de soixante-treize ans que j'ai compris à peu près la structure de la nature vraie, des animaux, des herbes, des arbres, des oiseaux, des poissons et des insectes. Par conséquent, à l'âge de quatre-vingts ans, j'aurai fait encore plus de progrès; à quatre-vingt-dix ans, je pénétrerai le mystère des choses; à cent ans, je serai décidément parvenu à un degré de merveille, et quand j'aurai cent dix ans, chez moi, soit un point, soit une ligne, tout sera vivant. Je demande à ceux qui vivront autant que moi de voir si je tiendrai ma parole. Ecrit à l'âge de soixante-quinze ans par moi, autrefois Hokousal, aujourd'hui Gwakio Rojin, le vieillard fou de dessin. - En 1848, quand, à quatre-vingt-neuf ans, il sentit venir la mort, le pauvre artiste désirait prolonger ses jours pour se perfectionner: « Si le ciel me donnait encore seulement cinq ans de vie, disait-il, je pourrais devenir un vrai grand peintre. » Cet exemple d'amour de l'art, d'ardeur au travail, est pour nous tous une grande leçon: afin de nous encourager, pensons à la confession d'Hokousal. Quel que soit notre métier et quel que soit notre âge, efforçons-nous toujours de faire mieux, d'aller de l'avant, de nous rapprocher de l'idéal rêvé.
Ce n'est pas en quelques lignes qu'il est possible de parler de l’œuvre formidable du maître japonais. Le musée du Louvre possède de ses estampes en couleurs, de ses dessins, et aussi de ses sourimonos (petites feuilles illustrées à propos d'une fête chez les buveurs de thé), merveilleusement exécutés. En observant la sûreté du trait, la franchise du ton, on découvre combien Hokousal était le traducteur fidèle de la Nature. Les paysages qui dominent la silhouette tragique du Fouzi-Yama, ses fleurs et ses animaux le témoignent éloquemment. Enfin, quand il représente les scènes de la vie journalière, les mille aspects de la rue, l'humble humanité au travail, au plaisir ou à la peine, le peintre, sorti du peuple, s'affirme un génie populaire.
ALIX.
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