Poisson d'avril ! Poisson d'avril ! Après- demain, vous entendrez pousser ce cri. Tant pis pour vous si vous êtes la victime d'une farce plus ou moins spirituelle. Le 1er avril est la fête des mystificateurs, mais ceux qui ont la passion de ce genre d'amusement ne se contentent pas d'un jour par an. Toutes les saisons leur sont bonnes.
Il y a des gens qui passeront à la postérité au seul titre de mystificateurs, des gens comme Vivier, comme Romieu. Il faudrait quelque jour écrire l'histoire des grands mystificateurs; dans cette galerie voisineraient les Caillot-Duval, Alphonse Allais, Alfred Jarry et tant d'autres. Les peintres seraient nombreux dans cette belle assemblée.
Si le désir de faire à tout prix de la classification nous tracassait, nous dirions qu'il existe deux sortes de mystifications: celles qui ont une victime bien définie et sans laquelle le mystificateur n'aurait aucune raison d'être et celles dont la portée est plus générale ou plus vague; celles qui s'en prennent à un abus, à un ridicule impersonnel, ou même celles qui n'ont d'autre but que celui de réjouir les mystificateurs.
C'est à cette dernière catégorie qu'appartiennent le plus souvent les mystifications de peintres. Lorsqu'ils cherchent « une blague » à faire, croyez bien que la victime qu'ils choisissent leur est presque toujours sympathique et lorsque les mystifications se font en corps, alors seul le plaisir de s'amuser compte.
Parmi ces dernières il faut citer par exemple la noce de Poulbot. Chaque année, pendant longtemps, il recommençait, à date fixe, toute la cérémonie de son mariage. Il remettait son smoking nuptial, sa femme, ces voiles blancs et sa fleur d'oranger, et tous leurs amis de beaux habits de noce, depuis le capitaine des pompiers jusqu'au garçon d'honneur frisé au petit fer. C'était alors le repas traditionnel, les chansons au dessert, voire la promenade en char à bancs. Les petites midinettes criaient: « Vive la mariée! » Les badauds faisaient, à haute voix, leurs réflexions et leurs plaisanteries d'usage sur les nuits de noce en général et sur celle-ci en particulier. Ils étaient les victimes d'une mystification si l'on veut, mais d'une mystification bien innocente.
Une mystification qui fut faite aussi par les peintres de Montmartre et sous le patronage de Comoedia, aux heureux jours d'avant guerre, alors que les gens avaient le temps de se laisser vivre, est celle qui consista à aller inaugurer la statue du général Dumas sur la place Malesherbes. Cette statue était achevée depuis longtemps, mais pour faire tomber le voile qui la recouvrait, il fallait attendre la fin de complications de toutes sortes. Quelques humoristes décidèrent de se passer des autorisations officielles et, un beau matin, organisèrent à leur façon l'inauguration officielle du monument. Poulbot et Hamman, en cotte bleue, se hissèrent sur la statue et firent tomber le voile qui la recouvrait. Il y eut des discours, des poèmes récités, des fleurs offertes par une petite fille.
Le cinéma et les photographes avaient déjà fixé pour l'éternité l'aspect de cette fête émouvante, lorsque la police survint pour constater le délit. Mais il était trop tard. La statue était bel et bien inaugurée, si bien même qu'un décret du président de la République le déclara officiellement. La farce de l'âne qui exposa au Salon des Indépendants est une mystification qui touche aussi de près à la peinture, bien que ce soit un écrivain qui en fut un des principaux organisateurs, Roland Dorgelès qui, en ce temps-là, prenait souvent le Musée du Louvre pour champ de tir. C'est lui qui imagina de déposer une statuette en plâtre dans une galerie pour aller, quelques semaines plus tard, crier qu'elle était fausse et la briser sous les yeux terrifiés du gardien; c'est lui aussi qui se rasa devant les Rembrandts qu'on venait de munir de glaces.
Les mystifications de peintres naissent innombrables dans les ateliers et les académies. L'arrivée d'un nouveau ou quelque autre événement local suffit pour que les rapins sortent dans la rue et malheur aux victimes que le hasard place sur leur passage!
Nous ne savons pas si ces traditions sont encore en vigueur, mais, il y a une vingtaine d'années, des farces fort drôles furent faites ainsi par des peintres qui ont continué à aimer ce genre d'amusements, des peintres comme Bain, Trilleau, Escheman, Decroix, qui devait se retrouver aux Mortigny avec bien d'autres camarades d'atelier, ou encore comme Guy Arnoux qui a conservé intacte sa passion du déguisement et qui, encore aujourd'hui, trouve ainsi le sujet de mystifications de toutes sortes, comme d'aller à cheval boire un cocktail dans un bar de la rue Royale, ou, avec Hamman et d'autres cow- boys, prendre au lasso les petits chiens bois de Boulogne. Mais il faudrait définir la mystification et ne pas la confondre avec la farce, cela nous entraînerait bien loin,
A l'occasion du 1er avril, évoquons plutôt le souvenir d'Henry Monnier, qui fut peintre autant qu'écrivain et que comédien. Il fut aussi un mystificateur prodigieux qui avait en lui le feu sacré nécessaire à des entreprises de cette sorte. On sait comment il commença, alors qu'il venait d'entrer dans l'atelier de Girodet-Trioson, par abrutir un malheureux marchand, très fier des furets qu'il avait dans sa boutique.
Henry Monnier, se disant empailleur au Jardin des Plantes, lui persuada que ses furets étaient des cochons d'Inde et quand le pauvre homme en fut convaincu il lui envoya un compère lui démontrer le contraire. Ce fut le commencement d'une scie qui dura fort longtemps et qui manqua faire devenir fou le marchand.
Henry Monnier devint célèbre par ses farces et son esprit.
En omnibus, il se livrait à des expériences de toutes sortes, faisant passer à une dame un petit billet sur lequel était écrit « Je vous aime », signé « Le conducteur ». En suivant un enterrement. il disait au médecin qui avait soigné le défunt : - Eh bien, docteur, avez-vous encore de l'espoir ? On compte par centaines les mystifications d'Henry Monnier; parmi elles, il ne faut pas oublier celle dont il fut victime, comme le jour où il rencontra un Anglais auquel il expliqua les beautés de Paris, le renseigna sur le chemin qu'il devait suivre pour s'entendre répondre : Merci, épicier ! C'était une victime qui se vengeait ! II faudrait d'ailleurs terminer l'étude sur la mystification dont nous parlions tout à l'heure par celles qui furent fatales à leurs auteurs. Elles sont nombreuses; la plupart des mystificateurs, de Romieu à Jarry, portèrent le poids des farces qu'ils avaient faites.
Poissons d'avril ! Ils ne font pas toujours rire !
André Warnod.
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