Excelsior 10 février 1924 |
LES SOUCIS DE L'ANGLETERRE
L'Inde et son nouveau prophète Le gouvernement de la province de Bombay, qu'inspirait en la circonstance le gouvernement central de toute l'Inde, vient de remettre en liberté le leader nationaliste hindou Mohamdes Karamchand Gandhi, l'inventeur de la Non-Coopération, cette nouvelle forme de révolte contre la puissance anglaise.
Si révolte il y a, Gandhi appartient, par la noblesse et la force du caractère, à la classe des grands révoltés. Le mouvement qu'il a fomenté pourrait d'ailleurs déterminer un changement important dans les rapports existant entre l'Inde et la Grande- Bretagne. Un coup d'œil jeté sur la vie de Gandhi, sur ses origines, sur son activité politique et sociale, permet d'entrevoir les raisons profondes du mouvement qui soulève aujourd'hui un peuple de 300 millions d'hommes, « formidable, par son nombre, sa durée et son âme abyssale ». Gandhi, universellement connu sous la dénomination de Mahatma (Mahd, grande; Atma, ame), Gandhi est un Hindou pur sang, sorti d'un milieu riche, dont le père et le grand-père, ayant pris part en leur temps à l'administration de leur province, furent disgraciés pour leur indépendance.
Mais Gandhi a reçu une éducation occidentale. Il a terminé ses études à Londres. Il avait vingt-quatre ans lorsqu'il rentra dans son pays, après avoir vécu cinq années en Angleterre. A peine avait-il touché Bombay qu'on l'appelait dans l'Afrique du Sud pour y plaider certaine affaire. Il y trouva des milliers de ses compatriotes, victimes d'une abominable persécution, la population blanche exerçant les pires violences sur ces hommes de couleur employés aux plus durs travaux. A Londres, Gandhi avait appris à connaître une grande nation parvenue à un très haut degré de civilisation. Dans l'ouvrage qu'il vient de lui consacrer, M. Romain Rolland a souligné l'impression de stupeur que produisit sur l'esprit du jeune avocat hindou la grossière brutalité des colons britanniques installés dans ce Dominion lointain. Gandhi pouvait alors regagner son pays ou se rendre à Londres pour y dénoncer le scandale. Il n'y songea pas. L'injustice le fixe où elle sévit. Il rassemble ses compatriotes; il les organise ; il leur enseigne la loi et les méthodes de la Non-Résistance, dont la mise en application contraindra peu à peu l'Européen à modifier sa loi et ses méthodes. Pendant vingt années, Gandhi tient tête au gouvernement de l'Afrique du Sud, au général Smuts. Ni la persécution, ni l'emprisonnement ne l'abattent. Finalement, la métropole intervient. Le gouvernement britannique nomme une commission impériale qui vient enquêter sur place. En 1914, cette commission dépose ses conclusions, qui donnaient raison à Gandhi sur presque tous les points.
Gandhi retourne alors dans l'Inde. On imagine l'agitateur, pressé de poursuivre en Asie la tâche entreprise en Afrique. Mais Gandhi n'aime pas la lutte pour la lutte, et ces vingt années de combat n'ont point effacé en lui le sentiment de ce qu'il doit à la civilisation occidentale et à la Grande-Bretagne.
Par contre, il ne semble pas que la Grande-Bretagne ait tiré enseignement de l'échec que Gandhi avait infligé aux autorités britanniques siégeant à Prétoria. Il est vrai qu'à ce moment les événements européens retiennent son attention. Et Gandhi lui-même, lorsque la guerre éclate, en 1914, accourt en Angleterre pour y lever un corps d'ambulanciers. La tornade, pour parler comme Mr. C. F. Andrews, un des Anglais qui connaissent le mieux le problème hindou, la tornade qui passe sur l'Europe de 1914 à 1918 fera sentir ses effets un peu plus tard dans l'Inde. Pendant toute la guerre, l’Inde prête à l'Angleterre un concours sans réserve. Pendant toute la guerre, le gouvernement britannique prodigue les promesses à l'Inde en 1917, promesse d'un gouvernement responsable; en 1918, consultation des intéressés, suivie d'un rapport sur la réforme constitutionnelle, que signe justement Lord Chelmsford, aujourd'hui collaborateur de Mr. Ramsay Mac Donald. Mais, lorsque la guerre eut pris fin, le gouvernement britannique, absorbé par d'autres soins, remit à plus tard l'exécution des engagements qu'il avait pris vis-à-vis des Hindous et des musulmans. Gandhi, moraliste, fût peut-être resté à l'écart du mouvement national indien, que dirigeait alors avec une grande autorité Tilak, un Hindou d'une rare énergie. Mais, en 1920, Tilak meurt brusquement et Gandhi se trouve, par la force des choses, poussé à la tête d'un mouvement qui a pour but l'établissement du Swaraj, Home Rule de l'Inde. FRANÇOIS CRUCY. |