Excelsior 10 février 1924 |
Au cours de la discussion parlementaire relative aux décrets-lois, M. Poincaré. n'a cessé de protester contre le nom redoutable qui a été donné aux mesures réglementaires réclamées par le gouvernement. Le mot « décret-loi » a pesé lourdement sur tout le débat. On s'est battu contre le nom beaucoup plus que contre la chose. On a lutté contre un cortège d'images et d'idées évoquant le césarisme, l'impérialisme, la dictature et la tyrannie. Une fois de plus s'affirma la toute-puissance des mots. Tout aurait été simplifié si l'on avait trouvé un euphémisme.
La recherche de l'euphémisme doit être une des préoccupations dominantes des hommes politiques. Avez-vous remarqué avec quel bonheur a été baptisée l'augmentation récente de nos impôts? Si l'on avait dit aux contribuables : « Vous payez actuellement une contribution de 5,000 franes; nous allons l'élever désormais à 6,000 », on aurait provoqué une explosion de fureur indignée. L'annonce d'une surtaxe de 20 0/0 aurait également été très mal accueillie. Mais le petit supplément du «double décime» a paru la chose la plus anodine du monde et a été accepté partout avec le sourire. Ces mots n'évoquent, aux yeux des passants distraits, que deux piécettes de nickel dont le sacrifice ne paraît pas douloureux. La langue fiscale est particulièrement riche en euphémismes bénins. Le «centime additionnel» et le «douzième provisoire» étaient déjà des trouvailles psychologiques de pre-mier ordre. Le «double décime», désignant en réalité la lourde proportion d'un cinquième, n'est pas indigne de la tradition philologique, si subtile et si heureuse, de notre ministère des Finances, qui, en virtuose du vocabulaire, a voulu couronner son œuvre en se débaptisant lui-même. Le ministère des Finances va s'appeler désormais ministère du Trésor. Le Trésor!... A ce mot magique, évocateur des richesses de Golconde, ne vous sentez-vous pas immédiatement rassuré sur notre crédit national et n'apercevez-vous pas M. de Lasteyrie montant la garde devant notre encaisse métallique, comme le dragon de Siegfried devant la caverne où dort le fantastique amoncellement de l'or du Rhin?… EMILE.
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