Excelsior 10 février 1924 |
Le double décime n'est pas encore voté. Il ne portera que sur certaines catégories d'impôts. Son application n'est envisagée que pour le prochain exercice. D'où vient donc que, déjà, des commerçants annoncent une hausse résultant des taxes nouvelles ?
Une enquête nous a permis de constater, ces jours derniers, des augmentations de tarifs allant de 10 à 30 0/0, hausse que rien ne justifie, particulièrement en ce qui concerne les marchandises d'origine française, qui n'ont pas encore augmenté à la production.
Quelques exemples dont nous garantissons l'authenticité attestent le fâcheux état d'esprit de certains commerçants, décidés à profiter d'une équivoque tendant à faire croire au public, ignorant des incidences de l'impôt, que le 20 0/0 en sus des taxes actuelles doit entraîner une augmentation de 20 0/0 du prix des marchandises. Une fabrique d'horlogerie envoyait, avant-hier, son représentant dans toutes les maisons de bijouterie dépositaires de sa marque pour annoncer qu'à partir du 15 février courant le prix de ses montres devrait être majoré de 20 0/0. Les bijoutiers ont aussitôt décidé de porter à 30 0/0 l'augmentation sur ces articles, en prévision de l'augmentation de taxes, non encore votées, répétons-le. Dans une grande brasserie du centre, le « demi » de bière française, servi la semaine dernière à 1 fr. 25, coûtait hier au consommateur 1 fr. 50, soit une majoration de 20 0/0. Un grand coiffeur, ayant reçu avis de ses fournisseurs d'une augmentation de 10 0/0, a informé sa clientèle d'une hausse de 20 0/0 de ses tarifs. Certains commerçants, moins pressés, procèdent par échelons successifs. C'est ainsi que, dans une épicerie importante, les marchandises en stock ont été majorées de 5 à 10 0/0 et leurs étiquettes corrigées aux centimes. Le pot de confiture, vendu 6 fr. 50 la semaine dernière, était hier modestement vendu 7 francs. Même constatation dans un dépôt de cafés, dont le tenancier a été menacé de renvoi s'il ne majorait pas de 10 0/0 son stock en magasin, comme ses futures livraisons. Ce ne sont encore que des exceptions regrettables, qui ne sauraient jeter le discrédit sur l'ensemble des commercants consciencieux. Mais il ne faut pas laisser se généraliser ces exceptions, dans l'intérêt même du commerce. qui verrait se retourner contre lui les hausses injustifiées, déterminées par quelques mercantis sans scrupules. Que les commerçants se souviennent de l'année de hausse folle de 1920, suivie d'une stagnation générale des affaires, qui provoqua maintes faillites en 1921. Si les pouvoirs publics ne prenaient pas d'énergiques mesures pour réprimer les hausses illicites, les consommateurs devraient se défendre eux-mêmes par le groupement coopératif, l'abstention devant les tarifs exagérés et tous autres moyens que pourraient justifier les circonstances. Les consommateurs ne peuvent ignorer plus longtemps que le 20 0/0 en sus des taxes et impôts ne porte que sur la plus faible partie des frais généraux du producteur, du fabricant, de l'intermédiaire et du détaillant. Des calculs, établis par des techniciens, démontrent qu'un produit d'origine française, ayant été l'objet de quatre ou cinq transactions entre le producteur et le consommateur, ne subit du fait des nouvelles taxations qu'une majoration de prix de 4 à 5 0/0. Cette majoration rationnelle, qui laisse au commerce sa marge ordinaire de bénéfices normaux, peut atteindre un maximum de 8 à 9 0/0 sur certaines marchandises importées, du fait de l'augmentation des transports et des tarifs douaniers. Il y a loin de cette moyenne de 4 à 9 0/0 aux 20 et 30 0/0 de majoration générale des prix dont les consommateurs sont menacés sans ombre de justification ! La grande iniquité serait que la hausse la plus lourde portât sur les produits que la France tire de son sol. On ne saurait oublier que, dans le système fiscal en vigueur, l'agriculture ne contribue que pour une très faible part aux ressources du budget. Le double décime envisagé ne saurait donc être invoqué comme une aggravation sensible de ses charges. L'augmentation éventuelle résultant du double décime ne doit porter que sur le commerce de gros et de détail des produits agricoles, ce qui implique une majoration maximum de 2 à 3 0/0 sur les prix de vente de ces produits aux consommateurs. Ces calculs, naturellement, ne portent que sur les augmentations imputables au double décime... quand il sera voté ! Le change a également son influence sur l'indice des prix généraux. Mais cette influence est lente et progressive. L'expérience l'a démontré. Elle reste étrangère à la hausse brusque dont le mouvement vient d'être déclenché. Le commerce français doit comprendre que les sacrifices demandés au pays doivent être supportés par tous et que le freinage à la hausse est une question d'ordre social et de solidarité française. |